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Les églises converties du Québec

Un patrimoine laissé pour compte 

un reportage de Nora Legrand

Dans sa Vision du Patrimoine 2027, la ville de Québec et les Diocèses catholiques ont inscrit huit églises à l’échelle de la valeur patrimoniale exceptionnelle : la basilique-cathédrale de Notre-Dame de Québec, la cathédrale Holy Trinity, l’église de La Nativité de Notre-Dame, l’église de Saint-Charles-Borromée, l’église de Saint-Jean-Baptiste, l’église de Saint-Roch, l’église de Saint-Sauveur et l’église de Saint-Charles-de-Limoilou. 15 M$ ont été investis sur dix ans afin de préserver ces bâtiments.

 

Selon Laurier Turgeon, professeur dans le département des sciences historiques de l’Université Laval, le patrimoine religieux est l’un des patrimoines les plus anciens et riches du Québec. Pourtant, hormis les huit églises protégées par le Diocèse de Québec, il n’y a aucune garantie que le paysage urbain de la ville de Québec sera le même dans quelques années. De plus en plus, les bâtiments religieux s’affaissent pour laisser place à des condominiums ou encore des résidences pour ainés. En 2020, l’église du Très-Saint-Sacrement ainsi que l’église Saint-François d’Assise sont déjà les prochaines sur la liste des églises converties à Québec.

Une tendance au Québec

Depuis les années 1950, le nombre d’églises reconverties ne cesse d’augmenter partout au Québec. Dans les années 2010, le Diocèse de Québec a décidé de se départir d’un certain nombre d’églises jugées trop dangereuses et trop couteuses pour continuer de les entretenir. Trois catégories ont été créées pour déterminer la priorité des églises : 1. Valeur patrimoniale élevée 2. Valeur patrimoniale significative 3. Valeur communautaire. Aujourd’hui, le peu d’entre elles qui sont encore debout sont fermées depuis plusieurs années.

 

Le conseil de quartier de Limoilou en sait quelque chose : « On voit dans différents quartiers des dossiers surgir, des préoccupations s’élever autour de ceux-ci, » explique Raymond Poirier, président du conseil. « Depuis mars dernier on travaille avec la société historique de Limoilou pour essayer de dresser un inventaire de lieux à caractère patrimonial pour lesquels on devrait de façon prioritaire mettre en place des actions pour favoriser leur préservation. »

 

L’Église Saint-François d’Assise dans le Vieux-Limoilou, désacralisée depuis 2012,  n’a trouvé une nouvelle vocation que très récemment :

 « Le conseil de Limoilou est un organe consultatif. Au départ, il y a le Diocèse et le promoteur, donc on fait une entente sur la vente du terrain. Ensuite, le promoteur et le Diocèse sont passés par la ville, le promoteur a soumis un projet pour occuper l’espace à la commission d’urbanisme de la ville de Québec, qui a validé les hypothèses présentées. Éventuellement au cours du processus, ça s’est retrouvé auprès du conseil de quartier de Limoilou. Et en fait, dans le contexte du projet de Saint-François d’Assise, on a eu une dynamique particulière où le projet est passé deux fois chez nous : une première fois à l’initiative du promoteur lui-même et une deuxième fois dans le cadre des processus réguliers de consultation de la ville de Québec. » Raymond Poirier, directeur du conseil de quartier Limoilou. 

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crédits photo : monquartier.quebec

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Benoît Raymond, courtier immobilier.

crédits : linkedin

En faisant un état des lieux, on constate qu'à la place de la majorité des églises qui ont été détruites se sont élevés des condominiums. Cela pose une question : les promoteurs immobiliers sont-ils à l'affut des églises délabrées pour leur profit ?

« On s’est fait offrir par la ville de Québec l’opportunité de certaines églises qui avaient été déterminées par la ville et le Diocèse comme étant des églises qui ne pouvaient pas être conservées dans leur état actuel, » répond à cela Benoît Raymond du groupe immobilier ACERO, qui a porté son projet de condominiums au conseil de quartier Limoilou en 2019. « Nous, à l’origine, nous n’aurions jamais acheté le bâtiment si on n'avait pas eu l’autorisation évidente de la ville de les démolir. On a eu ça bien avant d’en faire l’acquisition.». 

 

Le plan était de construire une tour de 19 étages, ce qui mal été reçu par les citoyens : « En général, par expérience à Québec, on n'est pas habitués à la hauteur des bâtiments. Historiquement, on peut prendre par exemple l’édifice Price dans le Vieux-Québec, les citoyens étaient contre. Aujourd’hui, c’est un emblème. C’est un peu ancré dans les mœurs. ». Ce plan avait été déposé durant la première rencontre informelle avec le conseil de quartier. Il s'agissait pour le promoteur de prendre le pouls des citoyens. Ces derniers -ils étaient environ 130, selon Raymond Poirier- ont pu émettre leur opinion avant la seconde rencontre, cette fois officielle. Un nouveau plan répondant aux attentes des citoyens y a été présenté par le groupe immobilier : « Les gens ont bien compris que cette église-là était abandonnée par le Diocèse depuis 2012. Ils savaient très bien que cette église-là était devenue une sorte de cancer pour le quartier. D’autres ne comprendront jamais, mais c’est correct, je comprends leur opinion... La vision des villes, du gouvernement actuellement, c’est pas de préserver 100% du patrimoine religieux. C’est utopique de penser qu’on pourra toutes les sauver. C'est un choix que la société a fait de vouloir prioriser les églises, c’est pas les promoteurs immobiliers. » En effet, plusieurs raisons contribuent à la détérioration accélérée des églises, comme le climat et la contamination au plomb et à l'amiante : « L’église du Très-Saint-Sacrement par exemple, on m’aurait donné plusieurs milliers de dollars pour que je l’achète. Les couts pour les décontaminer sont astronomiques. ». Il ne s'agit pas seulement de rénover les églises : il faut aussi pouvoir les entretenir tout au long des hivers québécois.

Au final, on en vient à se demander si acquérir une église est rentable pour un promoteur immobilier. Si les couts de rénovation et d'entretien du bâtiment religieux sont supérieurs aux revenus que le résultat va générer, il n'y a pas de profit : il y a perte. « C’est des projets extrêmement difficiles qui prennent beaucoup de temps, de patience, qui demandent beaucoup d’argent. Il n'y a pas beaucoup de monde qui lève la main. D’ailleurs, le projet de Saint-Francois d’Assise a refroidi beaucoup de promoteurs. ». Pourtant, Benoît Raymond s'est lancé dans le projet. « Le seul avantage, c’est que le lieu des sites est toujours au centre des quartiers. Ils ont toujours une situation géographique qui est très enviable. ». En effet, le projet de tramway rend le quartier Limoilou intéressant pour les courtiers immobiliers. « Tout dépend de la capacité de la structure du bâtiment. Le code du bâtiment est devenu tellement sévère au Canada qu'aujourd’hui les requis en termes de capacité sismique ont quadruplé dans les derniers 15 ans. Même si le bâtiment est en bonne qualité, ça se pourrait que le projet en vaille même pas la chandelle vue la capacité sismique du bâtiment. C’est très complexe. ».

 

Si la santé des bâtiments religieux est discutable au Québec, la valeur sentimentale demeure indéniable : bon nombre de citoyens ont été baptisés et se sont mariés dans ces églises avant de devoir faire leur deuil. Le directeur du conseil de quartier de Limoilou le regrette : « C’est des dossiers complexes et crève-cœurs à bien des égards. Chacun l’a vécu à sa façon à travers les photos, à travers les moments où on la croisait en allant y faire un tour une dernière fois, c’est certain que ça n'a pas été facile pour tout le monde. » 

Les origines

Laurier Turgeon, professeur titulaire du département des sciences historiques de l'université Laval, est spécialisé dans le patrimoine religieux au Québec. Il est notamment l'auteur de L’inventaire du patrimoine immatériel religieux du Québec : bilan et perspectives publié dans la revue Rabaska en 2015.

« [ Les Québécois ] sont fortement attachés à leur patrimoine religieux parce qu’ils estiment que ça fait partie de leur histoire, à laquelle ils peuvent s'identifier. Le religieux en tant que patrimoine culturel est important. »

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Laurier Turgeon

crédits photo : université Laval

laurierturgeonentrevue avec Nora Legrand
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Patrice Groulx

crédits photo : université Laval

Les conséquences

Patricegroulx_églisesentrevue avec Nora Legrand
00:00 / 13:56

« Les appartements sont vendus pour faire des AirBNB, donc on crée une économie fictive autour de ces lieux-là. Tant que ça dure, ça peut marcher, mais s’il arrive une période catastrophique comme par exemple la pandémie, ça peut très bien fragiliser l’ensemble de l’écosystème économique de ces zones-là et ça peut les mettre en danger. »

La loi sur le patrimoine culturel, adoptée en 2012, ne contient pas les termes «église» et «religieux». C'est donc aux Diocèses du Québec qu'incombe la responsabilité des églises. Depuis, les chiffres de fermeture des églises ont bondi. Selon l'historien Patrice Groulx, c'est une tendance qui remonte aux années de la Révolution Tranquille. 

« Maintenant, on est entré dans une époque où, l’architecture qu’on appelle «moderne», architecture qui est apparue après la fin de la Seconde Guerre mondiale surtout à partir des 1960, cette architecture moderne devient elle aussi sacralisée. »

Les citoyens mitigés

L'église Saint-François d'Assise est un modèle exemplaire quant au sondage et à l'inclusion du citoyen dans le processus décisionnel. Qu'en est-il des autres églises ? 

Le courtier immobilier Benoît Raymond a mentionné l'état critique de l'église du Très-Saint-Sacrement : une partie de sa façade s'est effondrée en 2017, ce qui a accéléré le processus décisionnel quant à sa destruction. Cependant, le comité SOS Saint-Sacrement a profité du contexte de pandémie en février dernier pour lancer une pétition en vue de sauver l'église. Louis Bélanger, fondateur du comité, est septique quant aux chiffres avancés par la paroisse Bienheureuse-Dina-Bélanger, qui relèvent d'un peu plus de 10 millions de dollars, révélant ainsi l'état de dangerosité du bâtiment. Selon lui, l'église n'est pas en si mauvais état et peut encore être sauvée. « Est-ce que le Diocèse a consulté les citoyens ? Absolument non. Ils ont fait une assemblée de paroissiens, à la va-vite. Les paroissiens c'est une chose, mais l'ensemble de la communauté, non. », déplore-t-il. « Un de nos membres très actifs dans le groupe, le président du centre des loisirs [de Saint-Sacrement], lui voit une opportunité dans cette situation. C'est un endroit qu'on pourrait développer. Parce qu'on n'a pas vraiment de coeur de quartier, le coeur est un peu l'église. C'est peut-être l'occasion de dynamiser le quartier. » Un projet de reconversion qui pourrait s'inscrire dans la liste des plus beaux recyclages d'églises du Conseil du Patrimoine Religieux du Québec.

Annie Métivier Hudon, étudiante à la maîtrise en géographie urbaine et membre du comité, ajoute qu'effectivement, une partie des citoyens ne s'opposerait pas à la démolition de l'église. Ces citoyens sont également victimes de désinformation en raison du chiffre de $ 10 millions véhiculé dans les médias par la paroisse Bienheureuse-Dina-Bélanger.​ « Le Père Busque avait parlé de 5 millions de dollars de rénovation. C'est des couts normaux, c'est pas des couts reliés à la dangerosité de l'église. » Ajoute Louis Bélanger.

« On n'a jamais parlé de 10 millions, nous autres. » Conteste le Père Gérard Busque. « Le carnet de santé de 2017 parlait de 3 millions, mais c'était un estimé très sommaire. C'est moi qui suis le porte-parole du conseil de fabrique et j'ai jamais donné d'information à la Voix de l'Est, encore moins au Diocèse. S'ils ont parlé à d'autres personnes, elles ne sont pas autorisées à donner des chiffres ni à parler au nom de la fabrique. » Il s'agirait donc d'un montant de rénovation plus proche de $5 millions. Le Père Busque est sans équivoque : la santé de l'église du Très-Saint-Sacrement est mise à mal. « C'est une grande tristesse, mais en même temps on est face à une réalité. Le Québec a évolué, on n'est plus face à un Québec de catholiques pratiquants à 80 %. C'est à peine 4 à 5 % qu'on retrouve dans nos églises. Et on n'en a plus besoin ! Garder une grande église pour 15, 20 personnes qui ne sont pas capables de la financer... C'est avec tristesse, mais on est obligés de les prendre, ces décisions-là. »

Le comité souhaite convaincre la Ministre de la Culture d'établir un avis de placement qui permettrait de bloquer la vente aux promoteurs afin de leur laisser le temps d'émettre une proposition d'alternative solide. « Évidemment, les ministres fonctionnent avec le nombre de votes ! » déplore Bélanger. La pétition a donc été lancée. À cette heure, ils ont recueilli presque 9 000 signatures.

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Père Gérard Busque

crédits photo : Le journal de Québec

Consultez ici le dernier rapport d'inspection de l'architecte Gilles Duchesneau et l'ingénieur de l'église St-Sacrement. Le document date de 2017 et répertorie l'intégralité des rénovations nécessaires.

Clochers de l'ancienne église Saint-Joseph, abandonnés sur le site de l'église démolie depuis 7 ans. (crédits photo : Radio Canada)

Un avenir incertain

À travers deux situations différentes, celle de l'église Saint-François d'Assise et celle de l'église du Très-Saint-Sacrement, il nous a été montré qu'on ne peut prédire l'avenir des églises québécoises. Toutefois, la situation actuelle laisse penser que les églises qui ne font pas partie des « huit » vont être graduellement remplacées par des condominiums. Certaines d'entre elles seront peut-être sauvées par des projets communautaires.

 

Depuis quelques années et contre toute attente, il semble y avoir un soudain intérêt pour le patrimoine religieux. Le documentaire Stratégie de l’inaction et patrimoine religieux de Pierre Fraser qui continue d'être diffusée jusqu'en aout 2020 sur le web en témoigne. On ne peut qu'espérer un miracle de mobilisation citoyenne pour sauver l'exception québécoise.

OUTILS

C'est à l'aide d'un tableur que nous avons tenté de mettre à jour les fichiers CSV de Données Québec. Par la suite, l'outil Flourish nous a permis de réaliser plusieurs graphiques afin d'offrir une visualisation  des données.

Accès aux sources

Les sources ont été contactées par courriel et les entrevues réalisées par appel téléphonique. Les deux fichiers audios sont des appels enregistrés. Les répondants étaient d'autant plus disponibles en raison du confinement, ce qui a facilité le dialogue. Ce reportage a permis de révéler la pertinence du journalisme de données : s'assurer que l'information gouvernementale est accessible et à jour, exercer son métier à distance, analyser et rendre les données intelligibles pour le public grâce à la visualisation.

COVID19

Le reportage a facilement pu être réalisé à l'aide des informations disponibles sur le web. Les intervenants ont naturellement fait des liens entre le sujet et la pandémie. Cependant, nous regrettons de n'avoir pas pu filmer l'intérieur des églises reconverties qui est parfois grandiose, comme dans le cas de la bibliothèque Claire Martin, et de n'avoir pas pu fournir un son de meilleure qualité et des photographies authentiques.

FEEDBACK

Le journalisme de données, c'est aussi la transparence. Les documents avec lesquels nous avons travaillé se trouvent dans ce reportage et nous vous invitons à communiquer avec nous si vous constatez des oublis. Les suggestions de visualisation ou de documentations sont également les bienvenues.

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